Il en va des jeux " amateurs " comme de tout : faits avec passion, le résultat est souvent très intéressant. Le Syndrome de Babylone est un jeu-campagne qui montre clairement que gratuit peut aussi rimer avec qualité, pour peu qu'on y mette toute sa bonne volonté. Son auteur, un jeune joueur, s'y livre totalement à son " envie de raconter des histoires, de transmettre des émotions, et de mettre en scène des personnages, des décors et des ambiances. Et surtout de les faire vivre ".
Atmosphère, atmosphère...
Et la bête est saisissante, tenant à la fois du mutant issu de jeux dérangeants comme Kult et l'Appel de Cthulhu et de la création originale. Un univers décalé, où les visions ont autant de réalité que les murs d'une ville que l'on croirait bâtie sur mesure. C'est dans cette grande ville, appelée du bout des lèvres Los Angeles (et pourquoi pas, après tout ?) que les personnages vont rencontrer leur destin. Impossible, évidemment, de dévoiler l'intrigue... mais dès les premières pages, le mystère s'installe : on est plongé dans une série de détails troublants, comme ce daltonisme aigu qui frappe tous les joueurs depuis leur naissance, les rêves qui les hantent, les impressions troubles dont ils sont victimes.
Et l'on s'étonne des descriptions elliptiques qui posent très bien les scènes. En quelques phrases naît une ambiance, que l'auteur rapproche volontiers de Lynch ou Clive Barker. La vision monochrome pose les ombres, et soudain, les premières taches de couleurs apparaissent, principalement du rouge, couleur du sang et de la Passion. Les mots sont choisis, les phrases courtes, ciselées. Cela tient sans aucun doute au sens du détail de l'auteur : " j'essaie de penser à tout, je deviens rapidement maniaque et je ne veux pas qu'il y ait de choses inutiles. Tout doit être à sa place, avec une raison d'être là. Il m'arrive parfois de bloquer plusieurs jours sur un détail. ".
Un mois en moyenne pour écrire un scénario, et un pari d'un scénario par trimestre : " le premier mois, je suis trop content d'avoir enfin terminé le scénario précédent. Je continue à accumuler les idées, les personnages, les scènes. Une fois tout imbriqué, je m'atèle enfin à son écriture... Ce n'est qu'après qu'il est testé. Je l'annote ensuite avec quelques détails supplémentaires issus de la partie. La semaine suivante, il est publié ".
A ce rythme, il n'y a pour le moment que 4 scénarios publiés sur les 12 prévus à terme (encore que ce chiffre peut varier, Yno s'imposant de réfléchir soigneusement au découpage, revu en fonction du temps). Cela peut sembler peu, mais la qualité justifie ce délai.
Fiche Technique
Nom : Le Syndrome de Babylone
Genre : Fantastique contemporain
Disponible :
http://www.xperyments.fr.st/Auteur : Yno
Joueur depuis : 1995
Profession : Graphiste
Jeu préféré : Kult
Une écriture cinématographique
Des parties, des scènes, peu de transitions... Toujours cette volonté d'aller à l'essentiel mais qui a son revers : les scénarios semblent linéaires, les scènes se succèdent (heureusement pas dans un ordre monolithique) et les coupures sont nettes. " J'aime les histoires avec un début et une fin, un tant soit peu scénarisées. J'ai besoin d'être porté par l'histoire, une succession d'événements. Il me semble très compliqué d'écrire un scénario ouvert à partir de représentations mentales de scènes que l'auteur tente forcément d'assembler pour obtenir une histoire cohérente. " Cela dérangera certainement les accrocs de l'improvisation totale, mais ceux-ci seront déjà écartés par le nombre de détails. Et pourtant, cela rend les scénarios aussi intéressants à lire qu'à imaginer. Le meneur se sert de ce concentré de faits pour intensifier la séance, forcément plus courte qu'une partie libre, et sans doute plus riche. " Je m'imagine visuellement mon histoire avant de la rédiger et j'utilise beaucoup d'ellipses pour rendre l'histoire plus dynamique et plus concise, en minimisant les scènes qui vont ralentir l'action. Cela ressemble à de la linéarité, mais permet de donner une âme à l'histoire ".
La play-list fournie avec les scénarios accentue encore cet aspect : chaque scène suggère une musique appropriée. L'effet " filmique " est alors complet. Il ne manque que les joueurs...
Un jeu complet ?
Pas encore, serait-on tenté de dire... du moins, pas tant que les scénarios ne sont pas achevés et que les mystères ne seront pas dissipés. Mais cela n'empêche pas forcément d'en commencer la maîtrise.
Le livre de base comprend un système de règle, dépouillé mais efficace. La mécanique est simple : six caractéristiques notées sur 6, une liste de qualités et de défauts (représentant les compétences, les talents et les faiblesses) qui représentent un modificateur.
Les jets se font à l'aide de deux dés à six faces. Il s'agit d'obtenir un score inférieur ou égal à la somme de deux caractéristiques, éventuellement modifiée par un ajustement de qualité/défaut. Et c'est tout ?
Oui, c'est tout. " Je ne suis clairement pas un fan des moteurs de jeux : plus les règles sont simples, mieux elles me conviennent. Rien ne m'excite moins dans les jeux de rôles que la technique. Je pense honnêtement que c'est un frein à l'arrivée de nouveaux joueurs. Pour moi, le jeu de rôle, c'est une vision, un monde. Le système passe forcément au second plan. "
Bon, soyons juste, il y a quand même quelques points additionnels : la santé mentale (indispensable dans un jeu d'horreur contemporaine), les traits de caractères (utiles, mais pas indispensables) et l'inévitable système de combat. Mais le tout se limite volontairement à quelques pages à peine.
Au final, le " livre de base " ne dépasse pas les 40 pages, premier scénario compris... et que faut-il de plus ?